MARTIN,PASCAL
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Mercredi 17 février 2010
Union européenne L’influence des religions jugée trop forte sur les eurodéputés
En 2008, Marcel Conradt, franc-maçon déclaré et assistant parlementaire de la députée socialiste Véronique De Keyser, avait dénoncé l’assaut des « sectes et des lobbies religieux » sur l’Europe (1). Leur objectif : influer tout au long du travail législatif sur ceux qui ont les leviers décisionnels en main, en particulier les eurodéputés. Environ 80 % de la législation nationale des Etats membres est élaborée au niveau européen. L’auteur décrivait le travail d’influence auquel se livrent les Eglises, mais aussi des sectes comme la scientologie ou le mouvement raélien. Il incitait les laïques à défendre la construction d’une Europe qui laisserait Dieu à l’écart de la politique.
Depuis, une reconnaissance spécifique a été accordée aux Eglises. Le traité de Lisbonne leur garantit un dialogue « ouvert, transparent et régulier » avec les institutions. Elles sont considérées comme des « partenaires », non comme des « lobbies » qui auraient à notifier l’origine de leurs financements.
Sur le principe, chacun admet le droit des Eglises à faire passer leurs idées. Le problème pour les tenants de la cause laïque est notamment le déséquilibre qui va croissant entre les deux « camps ». Marcel Conradt ne manque pas de rappeler que la Commission (Barroso), le Parlement (Buzek) et le Conseil (Van Rompuy) sont présidés par des personnalités animées de convictions religieuses. L’Elargissement a par ailleurs versé dans l’Union plusieurs pays où la Bible vaut bien Voltaire. Ils s’ajoutent à l’Irlande ou à l’Italie, Etats soucieux de défendre les traditions catholiques. Le récent débat sur l’affichage des signes religieux dans les bâtiments publics de l’UE n’est qu’un révélateur de ces tensions.
Les coups de boutoir sont légion. Le 3 février, lors d’un débat portant sur le dialogue interreligieux au Parlement européen, un ultracatholique italien proche de Benoît XVI s’est livré à une attaque en règle contre « une Europe en proie à l’apostasie » alors qu’un lobbyiste irlandais déplorait que le « droit à l’égalité passe au-dessus des autres, au détriment notamment des droits religieux ».
Parallèlement, un cap semble avoir été franchi, mais dans une autre assemblée. Une fuite au Conseil de l’Europe a révélé la volonté évidente dans le chef de l’Eglise catholique de passer de l’influence à l’ingérence. En janvier en effet, la nonciature apostolique en France n’a pas hésité à faire de la retape auprès des parlementaires pour qu’ils appuient un de leurs pairs au poste de juge à la Cour européenne de Strasbourg. Colère dans les travées où cette recommandation a été associée aux convictions du pistonné, non à sa capacité d’impartialité.
Cette situation incite aujourd’hui des laïques à vouloir reconquérir le terrain perdu. Pour certaines obédiences maçonniques, il est temps d’entreprendre un travail d’influence au plan européen. « Il faut être présent, dire qu’il y a d’autres choix de société », plaide Conradt.
Les maçons ont pu faire entendre par le passé leurs points de vue auprès du président de la Commission européenne, mais pas nécessairement d’une seule voix. Ils tentent donc aujourd’hui de fédérer leurs différents courants de pensée, mais aussi d’évoluer à visage découvert. Une révolution pour nombre d’obédiences habituées au secret. Ainsi le Grand Orient de Belgique a-t-il préféré ne pas répondre à nos questions…
Dernier obstacle : l’absence de relais de pouvoir au plus haut niveau politique. « Nous ne pouvons pas nous appuyer sur un chef d’Etat ou de gouvernement au sein du Conseil européen », reconnaît Marcel Conradt.
La Fédération humaniste laïque travaille elle aussi à défendre les valeurs dont elle est porteuse auprès des institutions, tout comme le Centre d’action laïque (CAL) pour lequel, selon son président Pierre Galand, « l’Europe est devenue stratégique ». Galand voit dans le travail de lobbying « une première étape au plan européen ». Il ajoute : « La laïcité belge étant la mieux organisée, elle est la mieux placée pour organiser la laïcité européenne et travailler à y rétablir la séparation de l’Eglise et de l’Etat. »
Laïcité versus confessionnalisme. Ce combat a revu ses équilibres et ses intérêts. Il peut aussi contenir son lot de surprises. Ainsi, contrairement à ce qu’il prévoyait, l’eurodéputé socialiste Marc Tarabella a vu dernièrement le paragraphe de son rapport « Egalité homme-femme » dédié à l’avortement voté à une large majorité par ses pairs. Il y était pourtant question d’« accès aisé » à l’avortement, un droit en recul selon lui. « Un tel vote n’était plus arrivé depuis 2002 », s’enthousiasme Tarabella qui a pu compter notamment sur une partie des voix conservatrices. Il attribue ce résultat « au rajeunissement du Parlement et à la présence de 35 % de femmes ». Une « évolution » selon lui. Et un bémol pour ceux qui voient dans la construction européenne l’objet du caprice de tous les dieux.
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